"Tout le monde le sait, tout le monde le voit, tout le monde se tait": ces atrocités qui ont lieu à 6300 km de Bruxelles
Dix millions de morts, 500 000 viols à 6 300 kilomètres de Bruxelles, l'enquête choc qui dénonce et accuse.
Les États-Unis jouent, depuis trente ans, un sale jeu avec le Rwanda de Paul Kagame. Ce que veulent les Américains : l'accès aux ressources minières dans l'est du Congo. Ce que veut le dictateur rwandais : la mainmise, au-delà d'un État plus petit que la Belgique, sur une sorte de Tutsiland, un territoire soumis à une politique ethnique suprémaciste.
Le bilan depuis 1997 rejoint celui des grands conflits du XXème siècle. Plus de 10 millions de morts et 500 000 viols en République démocratique du Congo.
Il se déroule, à 6340 km de Bruxelles, des atrocités que l'Occident refuse de voir.
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"Ce n'était pas un 'individu', il s'appelait Michel et était mon ami" : un mois après, enquête sur le drame à la Clinique psychiatrique Fond'RoyPour ouvrir les yeux et briser l'omerta, un journaliste d'investigation, Charles Onana, publie une enquête de 486 pages qui révèle le dessous des cartes. Le livre, publié aux Éditions L'Artilleur, s'appelle "Holocauste au Congo".
À Nuremberg, les chefs nazis ont fini au bout d'une corde. Alors que l'Occident détourne le regard sur les tragédies à répétition qui ensanglantent l'ancienne colonie belge, des Congolais, tel le philosophe Jean-Pierre Mbelu, veulent savoir s'il y aura un jour, à La Haye, ou ailleurs, un "Nuremberg 2" sur les massacres depuis trente ans dans leur pays.
Visées américaines
Charles Onana l'affirme : pour lui, l'actuel président du Rwanda Paul Kagame est derrière tout cela, depuis le début, avec le soutien des Américains. Le journaliste part de l'hypothèse – qu'aucune justice internationale ou nationale n'a jamais avalisé – selon laquelle Kagame a diligenté l'attentat qui a tout déclenché dans cette partie d'Afrique : celui du 6 avril 1994 contre l'avion qui transportait les présidents rwandais et burundais Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. Pour Onana, rien n'était improvisé, tout se préparait, depuis des mois, au départ de l'Ouganda, avec l'aide des stratèges de Washington.
Les questions
Dans la DH du 3 septembre 2022, le colonel belge Luc Marchal s'interrogeait sur la présence discrète de forces américaines dans la région. Un autre Belge, le professeur Filip Reyntjes, s'il reste prudent, tend à penser que l'attentat contre l'avion a bel et bien été perpétré au moyen de missiles provenant de stocks ougandais en possession du Front Patriotique Rwandais, le FPR que dirigeait Kagame.
En avril 1994, Luc Marchal se trouvait à Kigali où il commandait les Casques bleus de l'ONU. Notamment nos dix Paras belges qui furent massacrés. Dans l'interview à la DH, il confiait que deux, trois jours après l'attentat du 6 avril, l'ambassadeur américain au Rwanda, David Rawson, lui avait révélé la présence à Bujumbura – à peine trois quarts d'heure de vol – d'hélicoptères d'attaque prêts à intervenir. "Si les Américains étaient sur place juste après l'attentat, c'est qu'ils y étaient déjà avant". Et le colonel Marchal s'interrogeait : pourquoi ?
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Outre qu'il confirme son témoignage dans le livre d'Onana, Luc Marchal en livre un autre qui remonte au début des années 1990. Il relate avoir assisté au siège de l'OTAN à Evere, à un exposé au cours duquel des Américains identifiaient déjà la région des Grands lacs, avec sa position centrale en Afrique et les ressources inépuisables de son sous-sol, comme une zone indispensable pour Washington où assurer la prédominance anglo-américaine.
Dans son livre "Holocauste au Congo", Charles Onana fait témoigner un autre Belge encore. Georges Gérin, qui tenait une agence de tourisme à Kigali, raconte comment il a découvert en août 1994 la présence au Rwanda de 6 000 soldats américains. En août 1994, c'est-à-dire à un moment où la situation à Kigali était globalement sous contrôle. Depuis avril, des dizaines de milliers de réfugiés hutus fuyant les massacres avaient franchi la frontière et trouvé refuge en RDC. Tout était sous contrôle, et pourtant Bill Clinton annonçait en juillet l'envoi de troupes sous couvert humanitaire. La mission recevait d'ailleurs le nom de 'Support Hope'. À la différence pourtant de celle de la MINUAR et de l'opération Turquoise initiée par les Français, Support Hope n'était pas couverte par l'ONU ni même placée sous le commandement d'une quelconque force multinationale.
Mission humanitaire ? La bonne blague. Pour Charles Onana, il fallait asseoir durablement Kagame et préparer techniquement son armée à l'étape suivante, l'invasion du Congo-Zaïre.
Les liens américains de Kagame ? Trois ans plus tôt, il avait suivi à Fort Leavenworth dans le Kansas, une formation à la guerre révolutionnaire. La formation intégrait des modules sur les opérations psychologiques. Dans le genre : comment légitimer la cause qu'on défend, comment salir l'ennemi et comment attirer à soi la sympathie de l'opinion et de la communauté internationale, un art où l'élève de Fort Leavenworth est passé maître.
Le complot
Pour le journaliste, l'idée était d'installer un homme fort à la tête du Rwanda, un dirigeant solide qui serait en mesure d'envahir le Congo-Zaïre voisin et de s'emparer des richesses de son sous-sol au profit des entreprises minières occidentales et des intérêts anglo-américains. L'afflux, suite au génocide, de centaines de milliers de réfugiés rwandais en territoire zaïrois, n'était en aucun cas le fait d'un accident mais faisait partie du plan : déstabiliser le Congo et son président Mobutu que Washington, après l'avoir bien soutenu depuis les années 1960, avait décidé de lâcher.
L'est du Congo déstabilisé, le pillage commençait au Kivu en même temps que les massacres de masse qui n'ont quasi jamais cessé depuis lors. Les populations étaient livrées aux milices, factions et rebelles banyamulenge (on appelle ainsi les Tutsis du Congo) et autres : FDLR, M-23, RDC-Goma, CNDP, etc.
Il faut ouvrir les yeux, voir et revoir l''Empire du Silence', ce film de Thierry Michel, sorti l'an passé. Onana, lui, a fait encarter, dans son livre, dix photos qui se passent de commentaires. Le journaliste français consacre un chapitre aux viols de centaines de milliers de femmes congolaises, et à ce prodigieux médecin gynécologue, le Dr Denis Mukwege, rappelons-le Prix Nobel de la Paix.
Le silence
Mais tout cela ne secoue la communauté internationale que par à-coups. Même l'assassinat en février 2021 à Goma dans le nord-Kivu d'un ambassadeur européen, l'Italien Luca Attanasio, a laissé indifférent et n'a pas réveillé nos consciences.
C'est que derrière tout cela, il y a nos téléphones portables et les batteries de nos voitures électriques, sans parler du diamant, de l'or, du cuivre, de l'uranium. 70 pour cent de la production mondiale de cobalt et entre 60 et 80 pour cent des réserves mondiales de coltan nécessaires à leur fabrication (ainsi qu'à nos ordinateurs portables, nos consoles vidéo, etc) se trouvent dans ce Kivu où se déroulent les plus grands massacres. Notre monde de confort se bâtit sur des ossements, au milieu des cadavres.
Ces ministres, ces présidents
Pour Charles Onana, les seuls en France à avoir vu clair sont Mitterrand et Chirac. Le journaliste n'est pas tendre envers Sarkozy, cet homme dont il affirme qu'il est allé fêter ses 66 ans à Kigali. Au nom de la même raison d'État, poursuit Onana, Emmanuel Macron fait devant Kagame des courbettes et des génuflexions. Tony Blair, lui, est carrément devenu le conseiller du dirigeant rwandais.
Le Belge Karel de Gucht n'échappe pas à la plume du journaliste, ni Louis Michel avec son "association des amis du Rwanda" créée au sein du Parlement européen.
Charles Onana, sous sa responsabilité, qualifie Kagame de "plus grand criminel de guerre africain des trois dernières décennies". Dans l'interview parue en septembre dans la DH, Luc Marchal évoquait Hitler. "Pour moi, estimait-il, pactiser avec Kagame, ce serait comme pactiser avec Hitler, où est la différence ?".
Les noms
Admettons que Paul Kagame et l'Ougandais Yoweri Museveni sont deux grands démocrates et qu'Onana, journaliste d'influence, fausse la vérité historique et manipule à outrance. Admettons.
Dans le métro parisien comme dans toutes les gares en région parisienne, son livre bénéficie, depuis dix jours, d'une campagne monstre. Kigali va-t-il laisser faire sans réagir ? Le livre sera-t-il attaqué devant les tribunaux ?
Charles Onana, qui vit en France, vient parfois en Belgique. Il rêve au jour, qui risque de ne jamais arriver, où un procès "Nuremberg 2" verrait en accusation MM Paul Kagame, Yoweri Museveni, Laurent Nkuda, James Kabarebe, pour n'en citer que quelques-uns. En attendant, il s'indigne, bien seul.
* Charles Onana, "Holocauste au Congo, L'omerta de la communauté internationale", 486 pages, prix conseillé 23 EUR