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L'enjeu de cette « odyssée au cœur de l'Afrique » serait de « Vérifier les accusations des autorités françaises répétées inlassablement depuis plus de vingt ans : un génocide se serait déroulé au cœur de la forêt équatoriale congolaise, des centaines de milliers d'hommes et de femmes auraient été massacrés dans l'indifférence ». En réalité, le véritable enjeu est de décrédibiliser le rapport des Nations unies documentant les crimes de masse impunis dont le Congo a été le théâtre tragique.
Massacre de réfugiés
Ce rapport « Mapping » a été remis en lumière par le Dr. Denis Mukwege lors de son discours de réception du prix Nobel de la paix le 10 décembre 2018 : « Au moment même où je vous parle, un rapport est en train de moisir dans le tiroir d'un bureau à New York. Il a été rédigé à l'issue d'une enquête professionnelle et rigoureuse sur les crimes de guerre et les violations des droits humains perpétrés au Congo. Cette enquête nomme explicitement des victimes, des lieux, des dates mais élude les auteurs. Ce rapport du projet Mapping établi par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains, décrit pas moins de 617 crimes de guerre et crimes contre l'humanité et peut-être même des crimes de génocide. Qu'attend le monde pour qu'il soit pris en compte ? »
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Parmi les pays souvent cités figure le Rwanda, suspecté d'avoir massacré un nombre incalculable de réfugiés hutu rwandais et de civils congolais. Plus grave, les attaques, « en apparence systématiques et généralisées » de l'AFDL/APR (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo/Armée patriotique rwandaise) « révèlent plusieurs éléments accablants qui, s'ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide ».
Des témoins crédibles ?
Avant d'entamer son périple, le journaliste d'investigation prépare son enquête en compagnie de l'officier supérieur rwandais qui a dirigé les opérations militaires de l'AFDL/APR visant à démanteler les camps et à traquer les réfugiés hutu à travers le Zaïre, et qui est donc l'un des auteurs présumés des crimes de masse commis durant cette « traversée ». Son « enquête » se poursuit auprès de « témoins » rencontrés dans 4-5 localités. Parmi eux, seulement sept lui parlent vaguement des massacres, puisqu'aucun n'a été témoin direct des événements. De ces quelques « témoignages » et d'une prétendue absence de traces, il disqualifie le rapport Mapping. Ne pouvant nier les exactions, il les présente comme des conséquences regrettables des aléas de la guerre ou des dommages collatéraux des combats.
Il tente même de faire croire que le rapport Mapping lui-même conclut qu'il n'y a pas eu intention claire de détruire le groupe ethnique hutu. En réalité, le rapport ne formule très prudemment qu'une hypothèse : « La question du génocide à l'encontre des Hutus demeure irrésolue jusqu'à aujourd'hui. Elle ne pourra être tranchée que par une décision judiciaire basée sur une preuve hors de tout doute raisonnable. »
On l'aura compris, on ne peut mettre sur le même pied La Traversée et le rapport du projet Mapping. D'un côté, quelques conversations avec 4-5 expatriés et une dizaine de Congolais. Aucun témoin direct, aucun réfugié rwandais rencontré et interrogé. Aucune question sur les très nombreuses fosses communes qui pourraient contenir des preuves de crimes de masse. De l'autre, le travail d'une équipe de 33 experts congolais et internationaux qui ont examiné plus de 1 500 documents et obtenu des informations de 1 280 témoins en vue de corroborer ou d'infirmer les violations répertoriées.
Pourquoi cette tentative de dénigrement du rapport Mapping ?
Le rapport Mapping est une épée de Damoclès sur la tête des dirigeants des pays impliqués dans les crimes de masse perpétrés au Congo-Zaïre et il entraîne pour les plus hauts responsables de ces atrocités des risques évidents de mise en cause. Le premier est de devoir comparaître un jour devant un tribunal et d'y être poursuivis pour crimes de guerre ou, pire encore, pour d'éventuels crimes de génocide à l'encontre du groupe ethnique hutu.
Le deuxième grand risque est que, s'il est établi que des crimes de masse ont été commis au Congo en 1996-1997, certains en arrivent à se demander si le Front Patriotique Rwandais (FPR), organisation politique dont relève l'APR, n'a pas aussi commis, auparavant, le même genre de crimes au Rwanda. Toutes les « voix dissidentes », qui reconnaissent et condamnent sans la moindre ambiguïté le génocide à l'encontre des Tutsis mais qui, dans un souci d'objectivité, osent parler de ces « autres » crimes, se font souvent qualifier de « révisionnistes », voire de « négationnistes », dans le but évident de les discréditer ou de les réduire au silence.
→ TRIBUNE de Vincent Duclert. Rwanda : lettre d'espoir depuis Kigali
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Le troisième risque est que la fin de cet aveuglement, volontaire pour certains, involontaire pour d'autres, sur ces crimes de masse ne conduise à une remise en question radicale du récit historique officiel, propagé depuis 25 ans, qui présente Paul Kagame et son mouvement armé comme les « sauveurs qui ont mis fin au génocide des Tutsi au Rwanda et les libérateurs qui ont chassé Mobutu du pouvoir ». Ce narratif est largement accrédité dans le monde, diffusé par la plupart des médias et reçu comme parole d'évangile par une grande partie de l'opinion.
Paradoxalement, et heureusement, La Traversée risque fort de produire l'effet inverse de celui recherché. Journalistes et lecteurs dotés d'esprit critique pourraient bien être amenés à s'intéresser à ce rapport Mapping et à y découvrir par eux-mêmes les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis en République démocratique du Congo.
(1) Luc Henkinbrant, docteur en Droit, ancien directeur d'Amnesty International (AIBF), et coordonnateur de l'Unité de lutte contre l'impunité et de justice transitionnelle de la MONUC/MONUSCO ; René Lemarchand, professeur émérite à University of Florida, auteur de Remembering genocides in Central Afrika, Routledge edition, 2021 ; Filip Reyntjens, professeur de droit et de sciences politiques à l'Université d'Anvers, auteur de nombreux ouvrages sur la région des Grands Lacs ; Johan A. Swinnen, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda (1990-94) et en RDC (2004-08).
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