- (Militaire) (Désuet) Faire beaucoup de bruit.
- (Militaire) (Désuet) Soigner (quelque chose).
- (Argot polytechnicien) (Désuet) Mettre en désordre, détruire.
- (Argot) Emmener, transporter.
- On aura tout vu, un idiot inutile qui fait la leçon au "mwalimu" d'idiots utiles (tu n'es pas dans les échos?)
- Familier. Transporter quelque chose, quelqu'un d'un lieu dans un autre avec plus ou moins de délicatesse, de soins, de facilité : Transbahuter un lit d'une pièce à l'autre. ) les mess
Patrick Robert: «Non, la France n'a pas de responsabilité dans le génocide rwandais»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Emmanuel Macron a déclaré que la France avait une «responsabilité écrasante» dans le génocide au Rwanda. Fin connaisseur de l'Afrique, le reporter-photographe Patrick Robert, qui était présent à Kigali en avril 1994, conteste fortement cette appréciation. Et il expose ses désaccords avec le rapport Duclert.
Publié le 08/06/2021 à 19:28, mis à jour le 09/06/2021 à 13:45
«Il semble que la reconnaissance d'une responsabilité quelconque de la France n'est qu'une courtoisie diplomatique pour ne pas dédire le président Kagame, une sorte de cadeau de réconciliation» JEAN BIZIMANA / REUTERSReporter-photographe, Patrick Robert parcourt l'Afrique depuis 1980 et a «couvert» de nombreux conflits (le journaliste a été grièvement blessé par balles au Libéria en 2003). Son travail, publié par les plus grands magazines, a été récompensé par de nombreux prix internationaux dont deux Visa d'or au festival de photo-journalisme à Perpignan. Il était à Kigali d'avril à début mai 1994 et est retourné plusieurs fois au Rwanda depuis.
FIGAROVOX. - Quelle appréciation portez-vous sur le discours d'Emmanuel Macron à Kigali?
Patrick ROBERT. - Le discours du président Macron à Kigali est un exercice subtil qui fait manifestement partie d'un plan de normalisation des relations entre les deux pays, en accord avec les autorités rwandaises. Elles ont de leur côté beaucoup réduit leurs accusations, qui devenaient de plus en plus difficiles à justifier.
Il semble que la reconnaissance d'une responsabilité quelconque de la France, qu'elle soit «accablante», «écrasante», ou «considérable» n'est qu'une courtoisie diplomatique pour ne pas dédire le président Kagame, une sorte de cadeau de réconciliation. La France affecte de reconnaître une responsabilité largement surjouée pour pouvoir tourner la page et permettre «l'opportunité d'une alliance respectueuse, lucide, solidaire, et mutuellement exigeante».
D'après les déclarations d'Emmanuel Macron, «l'ampleur des responsabilités accablantes» de la France au Rwanda est de n'avoir pas «su entendre la voix de ceux qui l'avaient mise en garde, ou bien a-t-elle surestimé sa force en pensant pouvoir arrêter le pire». Cela ne constitue pas une responsabilité accablante.
Le président continue: «En voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d'un régime génocidaire (…)». C'est un anachronisme: le régime n'était pas génocidaire avant l'attentat, qui n'était pas prévisible. Et la menace de grands massacres n'était pas ignorée par la France mais au contraire prise très sérieusement en compte pour contraindre à l'achèvement de négociations entre Rwandais «(…) dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu'elle cherchait précisément à l'éviter». Cela ne fait toujours pas une responsabilité accablante.
En somme, il est possible que les deux pays aient compris qu'ils avaient besoin l'un de l'autre dans leurs actions multilatérales en Afrique. La France, qui a besoin d'un partenaire fiable avec une armée opérationnelle, et le Rwanda, qui a compris que la France est la seule puissance occidentale capable de s'investir sur le terrain dans la stabilité de l'Afrique et son développement. Il est possible également que le président Kagame ait compris que la francophonie est un outil utile qu'il a peut-être écarté un peu vite en prenant le pouvoir en 1994, et aussi qu'il ait besoin de trouver de nouveaux créanciers depuis que ses alliés originels prennent progressivement leurs distances avec un régime très contestable au plan des droits de l'homme et des principes démocratiques.
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Le discours du président de la République à Kigali a été précédé par la publication du rapport de la «Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994)», présidée par Vincent Duclert, rapport remis à Emmanuel Macron qui l'avait demandé. Que pensez-vous de la méthodologie suivie par les auteurs du rapport? Partagez-vous leurs conclusions?
L'initiative de sortir des archives la matière permettant de comprendre quelle était la nature des motivations et des actions des dirigeants français de l'époque est bienvenue, tant les suppositions les plus folles avaient fini par faire vérité historique. Les archives de l'Élysée, du ministère de la Défense, du ministère des Affaires étrangères, de celui de la Coopération ont donc pu être consultées, la plupart ayant été déclassifiées et rendues accessibles pour la première fois.
Le rapport a deux grands défauts: ne pas considérer l'histoire de la rivalité Hutu-Tutsi dans sa profondeur historique, se privant de la conscience de son enracinement (comme si cette tragédie commençait avec l'indépendance chaotique du pays) ; et ne pas voir que le pays est devenu sous Paul Kagame une dictature policière.
Patrick Robert
Ce rapport a cependant deux grands défauts: ne pas considérer l'histoire de la rivalité Hutu-Tutsi dans sa profondeur historique, se privant de la conscience de son enracinement (comme si cette tragédie commençait avec l'indépendance chaotique du pays) ; et ne pas voir que le pays est devenu sous Paul Kagame une dictature policière dépourvue de la légitimité démocratique qu'il prétendait instaurer. La promesse, par la propagande du FPR, d'une démocratie succédant à une dictature raciste n'a pas survécu à l'exercice du pouvoir. Le Rwanda d'aujourd'hui n'est pas plus une démocratie et son régime politique pas plus partagé équitablement que celui qu'il a remplacé. Le rapport ne tient pas compte de ces deux réalités.
En somme, les rapporteurs se trouvent en porte à faux par rapport à la vérité historique puisqu'ils plaquent leur vision morale, éthique, sur une réalité qu'ils découvrent à partir des seules archives, sans tenir compte de la complexité du terrain. La plupart des critiques du rapport sont contestables sur le fond.
On y apprend cependant beaucoup de choses et des murs de certitudes s'effondrent. On comprend le mécanisme décisionnel et les raisons qui mobilisent le président Mitterrand. Point de volonté génocidaire, point de motivations occultes, d'arrière-pensées mercantiles ou de quelconque mauvaise intention, contrairement aux affirmations répétées depuis 25 ans dans des centaines d'articles et de communiqués d'associations humanitaires reprenant souvent les arguments du régime rwandais.
Pas de dérapage non plus entre les ordres donnés et leur exécution. Au sommet de la Baule en 1990, Mitterrand fait un discours qui annonçait une rupture avec les pratiques d'ingérences précédentes. L'action de la France se fera dorénavant dans la transparence et le respect du droit international. L'aide de la France sera conditionnée à la démocratisation effective des pays qui la solliciterait. Le rapport fait état de cette volonté de faire du Rwanda «une sorte de laboratoire de l'esprit du discours de La Baule». Le drame rwandais démontre que les bonnes intentions ne suffisent pas.
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Pourtant les rapporteurs concluent à une responsabilité de la France dans l'exécution du génocide en considérant qu'elle savait que les extrémistes Hutu préparaient un génocide et qu'elle ne s'y est pas opposée. C'est très inexact, je le répète: si les observateurs français, à l'époque, étaient conscients que la menace de grands massacres était réelle, et qu'il était urgent de prendre de vitesse les extrémistes en aboutissant à un accord politique, aucun d'eux ne pouvait prévoir qu'ils deviendraient un génocide. D'ailleurs, la constatation de sa réalité a été faite très tardivement par la communauté internationale après qu'il eut commencé. Le fait génocidaire n'était tout simplement pas concevable dans les esprits à Paris. Les pressions pour inciter Habyarimana à contrôler ses extrémistes ont été faites, et faisaient même partie des négociations d'Arusha de partage du pouvoir. Certainement pas suffisamment, dans l'ignorance de ce que deviendrait le futur. On ne peut pas cependant être tenu responsable de quelque chose qu'on n'a pas imaginé possible alors que la France a tenté pendant quatre ans, à l'époque, de réconcilier les protagonistes. C'est profondément injuste.
Un des griefs du rapport envers les autorités politiques françaises de l'époque tient à leur grille d'analyse des réalités du Rwanda, selon eux tout à fait fausse. Est-ce aussi votre analyse?
Les rapporteurs insistent sur la vision erronée que les autorités françaises auraient portée selon eux sur la région en considérant le rapport de force démographique des ethnies en présence. Ce qui constitue d'après eux un aveuglement qui répéterait «un schéma colonial» et une «construction idéologique» qui ignoraient «le caractère factice de ces catégories», ce qui est qualifié «de vision ethniciste». Il aurait fallu considérer «l'unicité d'un même peuple».
Les rapporteurs insistent sur la vision erronée que les autorités françaises auraient portée selon eux sur la région en considérant le rapport de force démographique des ethnies en présence. Ce qui répéterait un « schéma colonial » qui ignorait « le caractère factice de ces catégories ». C'est beau comme une pétition universitaire, mais très éloigné de la réalité du pays à l'époque.
Patrick Robert
C'est beau comme une pétition universitaire, mais très éloigné de la réalité du pays à l'époque: celle de la lutte pour le pouvoir dans une histoire longue marquée par la domination des Tutsi sur les Hutu. La terreur qu'inspirait à ces derniers le retour au pouvoir des Tutsi n'est pas une construction mentale française. C'est le point de réalité obsessionnel qui a motivé le génocide, sans que les autorités françaises ne puissent le concevoir à l'époque. Cette réalité ethnique n'est en rien contradictoire avec le très fort sentiment d'appartenance des Rwandais au même peuple, avec la même langue et la même religion. Mitterrand l'avait dit à Habyarimana: «ces gens-là (le FPR) sont aussi rwandais et c'est normal qu'ils veuillent rentrer chez eux». C'est le principal point de critique des rapporteurs qui fonde l'accusation d'aveuglement et qui est donc inexact. En tout cas injuste.
L'abondance des documents et dépêches diplomatiques déclassifiés permet d'établir que le soutien de la France au régime d'Habyarimana était bien conditionné à l'ouverture des négociations d'Arusha devant aboutir au partage du pouvoir. Il n'était donc pas inconditionnel. Partage que d'ailleurs ni les Hutu ni les Tutsi ne voulaient sincèrement.
Les rapporteurs affirment également qu'en n'empêchant pas le régime d'Habyarimana d'organiser ses milices, la France prêtait la main à la préparation du génocide. Génocide qui, qu'on me pardonne d'insister, n'était pas envisageable par avance, ne serait-ce que dans l'ignorance de la proximité de l'attentat déclencheur. L'accusation du rapport fait facilement abstraction du fait que le Rwanda était un État souverain et que les Français n'y faisaient pas ce qu'ils voulaient, surtout après le discours de La Baule !
Par ailleurs, contrairement à ce qui a été affirmé, Habyarimana n'était pas un ami de Mitterrand. Ils ne se sont rencontrés que trois fois avant 1990 et quatre fois après le déclenchement de la guerre par le FPR, uniquement dans des rencontres bilatérales et des sommets de chefs d'État. L'asile donné à sa famille au lendemain de son assassinat n'était qu'un geste de courtoisie du chef d'État français. Cette décision fut prise dans l'urgence face aux menaces certaines qui pesaient sur elle.
Le rapport considère que le Rwanda de 1990 est une dictature. Néanmoins il n'était pas considéré comme tel au regard des standards de l'époque dans les pays voisins très instables. Bien que très pauvre, il était bien géré, propre, les infrastructures fonctionnaient. Les massacres du passé étaient loin, croyait-on, et le risque de rechute peu crédible dans un avenir envisageable. Ceux qui disent le contraire n'ont pas connu cette période.
Lorsque Habyarimana a renversé en 1973 Grégoire Kayibanda, dictateur Hutu ouvertement raciste qui régnait depuis l'indépendance, il a tendu la main aux Tutsi. Il a établi des quotas pour les imposer dans l'administration. C'est ce qui fait dire à Duclert, et aux associations militantes qui l'influencent manifestement, qu'il avait une politique raciste en établissant des quotas pour limiter l'accès aux Tutsi. Ce fait n'est pas exact, c'est même le contraire. À l'époque, par ailleurs, les Tutsi étaient très actifs dans la vie économique, même s'ils restaient exclus de la vie politique.
Reprenons la chronologie à partir de 1990. Que décide François Mitterrand face aux événements?
En 1990 un groupe armé rebelle venu d'Ouganda attaque le Rwanda avec l'intention de prendre le pouvoir par la force. Des massacres sont commis, puis des contre-massacres de vengeance, entraînant d'autres tueries. Habyarimana demande l'aide de la France qui a signé des accords de coopération et de défense en 1975 (sous Giscard). Ces accords de défense ne sont activés que si le pays est attaqué par un pays étranger. Le FPR est bien armé, entraîné et équipé par l'Ouganda, mais ses combattants sont des Tutsi descendant des réfugiés ayant fui le Rwanda après la guerre pour l'indépendance gagnée par les Hutu. Les renseignements militaires français ont cherché à savoir si des soldats ougandais participaient à l'offensive pour déterminer si les conditions d'intervention des accords de défense de 1975 s'appliquaient. C'est pourquoi on a vu des soldats français contrôler des identités. Non pas pour «trier» des Tutsi comme on l'a dit, mais pour vérifier s'il y avait des Ougandais parmi eux. Museveni, le chef d'État ougandais, l'a toujours nié, bien que 1.000 à 2.000 hommes du FPR fissent bien partie de l'armée ougandaise, dont Kagame lui-même qui y était colonel.
C'est la raison pour laquelle le président Mitterrand n'engage pas l'armée française directement contre les rebelles mais simplement en soutien de l'armée régulière d'un État souverain. Paris a bien tenu compte du fait que ces rebelles sont aussi rwandais et qu'il était compréhensible qu'ils souhaitent rentrer chez eux avec leurs familles. Mitterrand a dit à plusieurs reprises dès 1990 que «le FPR n'est pas notre ennemi», et que «la France ne fait pas la guerre au FPR». Pour pouvoir rendre possible des négociations, il fallait stopper les combats. Une force militaire rebelle qui progresse rapidement sur le terrain n'a rien à gagner dans des négociations: son coup d'État est à portée de main. Il fallait donc former l'armée régulière, déployer des soldats au sol, livrer des armes et figer les fronts. Surtout que pendant toute la durée des négociations à Arusha, le FPR continuait de harceler les lignes de défense pour maintenir la pression sur le régime, compliquant sa volonté de compromis.
Chaque nouvelle demande d'armes formulée par la présidence rwandaise à Paris était un point de levier pour contraindre le régime à négocier, donc à faire des compromis politiques avec les rebelles. Aucun des belligérants ne souhaitait négocier, il a fallu leur tordre le bras pour les contraindre à le faire. L'aversion de Kagame pour la France est venue de là: notre pays l'a empêché de prendre tout le pouvoir qu'il convoitait dès 1990. Les critiques actuelles ne tiennent pas compte du fait que la France avait affaire avec un État indépendant, souverain, reconnu par l'ONU, et qu'elle n'y faisait pas ce qu'elle voulait. Par exemple, Paris ne pouvait pas intervenir contre la présence des milices racistes (un phénomène régional qui s'est aggravé au Rwanda après 1992 et que l'on a sous-estimé).
Dès 1990 on savait que des militaires Hutu souhaitaient tuer les Tutsi, donc le rapport conclut qu'en ne les arrêtant pas (de quel droit aurait-on pu le faire dans un pays souverain ?) on les encourageait, finalement donc que la France est complice. C'est une fois de plus le contraire. L'urgence était à la négociation, tout en empêchant que l'une ou l'autre force n'écrase l'adversaire sur le terrain. C'était une course de vitesse contre les extrémistes de tous bords.
Le rapport Duclert fait l'inventaire des armements livrés en jugeant qu'ils sont considérables. Ce n'est pas le cas. La valeur totale de ces armes, 64 millions d'euros sur 4 ans, pour soutenir une armée en guerre, n'est en rien excessif. C'est même assez peu. Des armes légères, des munitions et des pièces détachées. Mitterrand a refusé de livrer la plupart des armes qui auraient fait la différence sur le terrain et qui étaient ardemment réclamées: aucun véhicule blindé, aucun missile, autorisant finalement une, puis deux batteries d'artillerie modeste (105mm) de six canons, aucun hélicoptère de plus, se contentant de l'entretien des trois existants avant la crise. Il refuse surtout l'appui aérien des avions français qui auraient été déterminants.
L'aide militaire de la France n'a pas été massive, elle n'était pas calibrée pour gagner la guerre mais pour que l'armée rwandaise, de très mauvaise qualité, tienne a minima le temps des négociations face au FPR qui lui, était régulièrement approvisionné en armement par l'Ouganda. Le génocide n'a pas été commis principalement par les armes à feu fournies par la France ou provenant par ailleurs des pays d'Europe de l'Est, d'Israël et d'Afrique du Sud, qui fournissaient aussi le régime d'Habyarimana.
Après avoir réussi au forceps à faire signer un accord politique de partage du pouvoir entre le gouvernement rwandais et son opposition armée, la France met fin à l'opération Noroit en 1993 et retire ses 600 hommes sur place. Conformément aux accords signés à Arusha, elle est remplacée par une mission militaire de l'ONU de 2.300 hommes qui arrive en novembre 1993. Mais cette mission est neutralisée à l'ONU par Américains et Britanniques qui réduisent au maximum son efficacité et ses moyens matériels, la privant de toute réelle utilité pour agir contre les forces en présence.
Lorsque l'attentat survient contre l'avion présidentiel, lâchant la fureur des extrémistes, l'ONU ne pourra pas agir. Il n'y avait pas de militaires français au Rwanda quand commencèrent les massacres, à part trente coopérants militaires chargés de maintenance de matériel, dont les deux gendarmes chargés des transmissions radio qui seront tués par le FPR juste après l'attentat, ainsi que la femme de l'un d'entre eux. Le FPR a bien procédé aussitôt, lui aussi, à des meurtres ciblés: de nombreux témoignages collectés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda en font état. Il est intéressant de constater que dans les heures qui ont suivi l'attentat, le FPR prenne la peine de tuer les deux gendarmes français qui faisaient de la transmission radio et probablement des écoutes. Qu'avait à cacher le FPR après l'attentat s'il n'en était pas l'instigateur? Avant d'être tués, les gendarmes avaient fait état à leur hiérarchie d'une activité radio inhabituelle du FPR. Ces informations contribuent à accréditer la thèse de la responsabilité du FPR dans l'attentat, avec de nombreuses autres, comme le fait que Museveni ait lourdement insisté pour que les trois présidents montent dans le même avion et se réjouisse devant des journalistes en apprenant l'attentat et la mort «des trois tyrans» (ignorant encore que Mobutu s'était ravisé en dernière minute).
Quoi qu'il en soit, ces trois morts seront les trois seules victimes françaises au Rwanda en quatre ans, hormis l'équipage de l'avion présidentiel. Les Français présents sur place seront tous rapatriés le lendemain avec les autres ressortissants étrangers.
Ne portez-vous pas un regard trop bienveillant sur les décisions de l'Élysée à l'époque?
Il ne s'agit pas de bienveillance, mais de la vérité historique mise en évidence par le rapport Duclert lui-même. Des critiques peuvent être faites, instruites par la connaissance du dénouement. Mais ce ne sont pas celles que les rapporteurs font.
Nombreux sont ceux qui affirment qu'il ne fallait pas s'en mêler, que ce n'était pas nos affaires. Très bien. Alors il faut accepter l'idée que d'immenses massacres auraient eu lieu à ce moment-là, en 1990 au lieu de 1994 et s'en laver les mains comme l'ont fait les autres États, américain, britannique et belge. Les Hutu auraient perdu le pouvoir, mais seraient entrés en résistance contre leur oppresseur séculaire, entraînant le pays dans une somalisation probable.
La France n'a aucune excuse à donner pour avoir été la seule à avoir tenté d'éviter la chute de ce pays, à ses risques et périls. Nous n'avions rien à gagner au Rwanda.
Patrick Robert
Mitterrand a choisi de tenter d'être un faiseur de paix. Peut-être était-ce vaniteux, présomptueux? Peut-être était-ce la vision qu'il avait de la responsabilité de la France: ne pas se débiner? Les accords d'Arusha prévoyant le partage du pouvoir sont le produit de cette implication française. Ces accords auraient pu réussir s'il n'y avait pas eu l'attentat contre l'avion du président rwandais. Arusha n'aurait pas eu lieu sans l'engagement de l'armée française au sol et le travail du Quai d'Orsay pour impliquer l'ONU et les pays voisins.
Les accords d'Arusha sont un succès français, et non pas du FPR comme le prétend le rapport. Les Tutsi se trouvent élevés quasiment à parité avec les Hutu malgré leur ratio démographique très défavorable (le FPR exigeait 50 % du commandement de l'armée et 45 % des effectifs). C'est pourtant bien le reproche que fait le général Kagame, qui faisait semblant de négocier sous la contrainte internationale mais qui ne souhaitait pas partager le pouvoir exclusif hérité de ses ancêtres et contrarié par la colonisation allemande, puis belge, n'en déplaise à la commission Duclert. Pour lui, et désormais pour tous ses soutiens occidentaux, l'opération Noroît d'abord puis Arusha sont des initiatives françaises destinées à l'empêcher de gagner la guerre et de régner seul sur le pays. Son aversion pour la France est profonde, personnelle. La normalisation des relations avec le Rwanda ne pourra se faire qu'à son initiative, avec un esprit de réconciliation sincère.
La France n'a aucune excuse à donner pour avoir été la seule à avoir tenté d'éviter la chute de ce pays, à ses risques et périls. Nous n'avions rien à gagner au Rwanda.
On comprend la position du régime actuel qui s'est attaqué à la France avec véhémence pendant des années pour faire diversion quant à ses propres responsabilités, écrasantes. On comprend moins celle des journalistes militants, des ONG moralisatrices qui se pensent infaillibles et d'une commission d'historiens qui supposent, à défaut de mieux, que la principale motivation des décideurs français de l'époque serait une obsessionnelle crainte d'une concurrence anglo-saxonne. Prétexte ridicule et fantasmée (comme le dérisoire soi-disant complexe de Fachoda). Il s'agit d'un pays francophone qui n'est pas une ancienne colonie et ne fait pas partie du «pré-carré». On a pourtant le droit de constater que le pays est devenu anglophone, qu'il s'est précipité d'adhérer au Commonwealth et que le FPR a été constamment soutenu dès le début par Américains et Britanniques. Mais non, la France n'avait au Rwanda aucun intérêt économique ou stratégique à défendre. On ne fait pas la guerre pour la francophonie. Ceux qui l'ont prétendu se sont trompés.
Le rapport affecte de croire que le FPR est un mouvement politique démocratique ouvert à tous les Rwandais. Or dans les faits les Hutu du FPR sont des faire-valoir sans aucun pouvoir réel et ouvertement méprisés.
Patrick Robert
Le rapport fait siennes des positions du FPR pourtant très contestables, et mises en avant par une communication efficace, manipulatrice, relayée à l'étranger par des compatriotes expatriés. On retrouve sa syntaxe dans les arguments des ONG, de la presse et du rapport. Par exemple, le rapport affecte de croire que le FPR est un mouvement politique démocratique ouvert à tous les Rwandais. Or dans les faits les Hutu du FPR sont des faire-valoir sans aucun pouvoir réel et ouvertement méprisés. Beaucoup des opposants Hutu à Habyarimana qui l'ont rejoint ont démissionné depuis ou ont pris la fuite sous les menaces. C'est le cas de Pasteur Bizimungu, opposant d'Habyarimana qui rejoignit le FPR dès 1990 et fut nommé fin 1994 président du pays par Paul Kagame. Il ne pouvait prendre aucune décision importante et servait de faire-valoir jusqu'à sa fuite quatre ans plus tard. Il créera un parti politique d'opposition immédiatement interdit. Pour ça il fut arrêté et condamné par la justice du Rwanda à quinze ans de prison pour «association de malfaiteurs, détournement de fonds publics et incitation à la désobéissance civile». Gracié après cinq ans de prison, il a renoncé à la politique. D'autres n'ont pas eu cette chance.
La qualification du régime d'Habyarimana de «dictature» provient encore du FPR pour justifier son expédition militaire. Mais le régime actuel est une autre dictature. Sa gestion économique technocratique habile et sa bonne gouvernance n'y changent rien. On peut s'en accommoder. Il y a d'autres pays qui sont des dictatures et qui se revendiquent être des démocraties (Russie, Turquie, Chine…) mais qu'on ne dise pas que le FPR souhaitait abattre une dictature pour instaurer la démocratie, et que la France a tenté de l'en empêcher !
L'attentat de l'avion présidentiel aura rendu impossible la poursuite du processus d'Arusha et a donné le signal des massacres. Duclert pense que les extrémistes Hutu sont responsables de l'attentat. Cette affirmation est très contestée par les nombreux observateurs qui connaissent bien le dossier. Il pense aussi que «sans l'attentat, le génocide aurait eu lieu de toute façon». C'est possible. Mais alors, pourquoi auraient-ils tué leur président s'ils pouvaient déclencher le génocide de son vivant? Et que faire du fait que le numéro de série du missile qui a atteint l'avion présidentiel provient d'un lot acheté par l'armée ougandaise quelques mois plus tôt?
Le rapport met en cause la centralisation de la décision à l'Élysée, le domaine réservé et l'exercice solitaire du pouvoir, en quelque sorte, propres à la Ve République. Qu'en pensez-vous?
Le rapport fait grand cas de l'activité dominante de l'État-Major Particulier du président Mitterrand. Il est présenté comme étant la cheville ouvrière de l'action de la France au Rwanda et de son manque supposé de probité. Les historiens semblent découvrir que la politique africaine se décide à l'Élysée. Les documents déclassifiés démontrent que l'Etat-Major Particulier a toujours suivi les consignes du président qui seul validait les actions à suivre.
Les rapporteurs ne comprennent pas bien pourquoi le président dispose d'un État-Major personnel, parallèle à celui de l'État-Major des armées, et pourquoi celui-ci semble court-circuiter celui-là. Le chef de l'État est chef des Armées et la politique africaine est toujours pilotée par le président. Pour les opérations militaires en Afrique le ministère de la Défense suit les directives de l'Élysée. En plus de lui tenir à disposition en permanence les codes nucléaires, son Etat-Major Particulier a aussi une fonction non dite et aujourd'hui futile: rendre plus compliquée l'organisation d'un coup d'État militaire en cas de crise grave: le président peut reprendre la main sur l'armée depuis l'Élysée grâce à lui. Ce qui semble être une anomalie aux historiens fait partie de l'institution militaire française et a ses raisons.
Le rapport s'indigne que des avis divergents, des analyses contradictoires provenant de militaires ou de diplomates informés sur place aient été écartés par l'exécutif. Mais c'est la règle du genre. Le président suivait sa ligne politique. Le décideur gère des considérations qui échappent aux analystes de terrain, même les plus avisés. Il doit tenir compte des relations multilatérales et diplomatiques. Il a un point de vue global propre à sa position.
N'ayant pas décelé de fautes graves dans le mécanisme de décision ni de décalage entre l'ordre émis et son exécution sur le terrain, le rapport pointe ce qui lui semble être des anomalies administratives. Que l'Etat-Major Particulier communique directement avec l'attaché militaire de l'ambassade à Kigali, alors que son courrier aurait dû suivre un cheminement administratif passant par le ministère de la Défense et les Affaires étrangères, par exemple, lui semble être la marque de dysfonctionnement fâcheux. Pourtant à aucun moment les consignes du président n'ont été modifiées ou même trahies. Le respect de la rigueur des règles protocolaires administratives du flux d'informations échangées semble plus important aux rapporteurs que la rapidité d'exécution ou que son efficacité.
On a beaucoup critiqué l'Opération Turquoise. Quelle appréciation portez-vous sur son action?
S'agissant de Turquoise, Mitterrand décide de répondre à une pressante campagne de presse et d'opinion s'indignant -très justement- de l'inaction face au génocide en cours. Il autorise alors une opération militaire française pour «faire cesser les massacres» dans l'apathie générale de la communauté internationale. Décision compliquée dans sa validation onusienne, mais qui finit par aboutir. L'obsession des dirigeants français était que les militaires français ne soient jamais confrontés sur le terrain aux forces du FPR qui avaient menacé de s'opposer à eux, ce qui limitera considérablement son efficacité. L'opération fut un succès mondialement reconnu. Pourtant, on trouve toujours aujourd'hui des critiques infondées et des accusations injustes. D'où vient cette haine de soi irrépressible? Le rapport Duclert, soulignons-le, «blanchit» définitivement Turquoise.
Non la France n'a aucune responsabilité dans le génocide des Tutsi Rwandais: sans doute aurait-elle pu mieux faire, mais elle a été la seule à prendre des risques pour que le pays puisse se réconcilier. Nous aurions aussi pu ne rien faire comme tous les autres pays et se retrancher derrière l'ONU qui n'aurait rien fait non plus. On aurait alors pu s'excuser ensuite, comme eux, d'avoir été inactif, et même coupable d'indifférence. On ne nous aurait fait aucun reproche. Le pays aurait sombré dès 1990, quatre ans plus tôt.
Le rapport Duclert conclut le contraire de ce qu'il démontre. Il apporte les preuves que l'action de la France a été retenue, prudente, raisonnée, et même courageuse, consciente des risques considérables qui menaçaient.
Patrick Robert
Les seuls responsables de la tragédie sont rwandais: le FPR, qui a pris l'initiative d'une invasion armée mûrement préparée et la prise du pouvoir par la force avec la certitude de sacrifier des milliers de vies humaines ; le gouvernement Hutu, qui a manœuvré en tentant d'instrumentaliser la France tout en mettant en place une «solution finale» au cas où les choses tourneraient mal pour son régime ; et l'ONU, aussi, porte une lourde responsabilité. Les Américains et les Britanniques ont tout fait, je le répète, pour neutraliser l'action de la MINUAR mise en place par les accords d'Arusha pour qu'elle ne puisse jouer aucun rôle qui aurait pu gêner le FPR. Le 12 avril 1994, alors que l'ONU discutait de l'éventuelle modification du mandat de la MINUAR pour la rendre utile dans la tragédie en cours, le FPR avisa l'Organisation des Nations unies avec aplomb que si elle devait devenir une «force d'instauration de la paix», elle serait considérée comme ennemie. Si l'ONU l'avait voulu en lui donnant des moyens matériels et un mandat plus adapté (au chapitre VII), la MINUAR aurait pu faire cesser les massacres dès l'attentat, en tout cas les limiter, qu'ils ne deviennent pas un génocide.
Que pensez-vous des préconisations du rapport?
Le rapport des historiens soumet un certain nombre de recommandations pour l'avenir. On sent l'appétit du monde universitaire pour la création de coûteux comités Théodule et les missions d'éducation moralisatrices, culpabilisantes et pénitentialistes destinées à notre jeunesse. Manifestement, l'intention, très surprenante, est de prévenir l'irruption d'un génocide comparable en France. À moins que de vouloir entretenir une culpabilité ontologique éternelle de notre histoire?
C'est très facile, 27 ans après, de distribuer des blâmes, quand on connaît le dénouement. On peut faire tous les reproches de jugement aux autorités françaises de l'époque, d'avoir sous-estimé les manœuvres et manipulations dont ils ont fait l'objet de la part des autorités rwandaises de l'époque, d'avoir privilégié la défense des droits régaliens au détriment des volontés légitimes de l'opposition armée, mais on ne peut pas dire qu'elles soient responsables des massacres qui les débordent alors que les soldats français ne sont plus sur place, ni qu'ils aient contribué à les rendre possibles. Il ne viendrait à personne l'idée de reprocher aux pompiers de Paris de n'avoir pas pu empêcher que la flèche de la cathédrale Notre-Dame en feu ne tombe à travers la voûte de sa nef.
En réalité, le rapport Duclert conclut le contraire de ce qu'il démontre. Il apporte les preuves que l'action de la France a été retenue, prudente, raisonnée, et même courageuse, consciente des risques considérables qui menaçaient. Pas d'aveuglement, donc. Ce sont les rapporteurs qui font preuve d'aveuglement en niant une réalité ethnique têtue et en concluant à une consensuelle responsabilité de la France dans l'accomplissement du génocide rwandais. Comme si un rapport qui la «blanchirait» ne pourrait pas être crédible.
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