Le Rwanda cherche à intensifier ses activités de renseignement en Belgique
L'ambassade du Rwanda à Bruxelles préparerait dans le plus grand secret l'ouverture d'un centre culturel rwandais à Bruxelles pour couvrir ses activités illégales de renseignement en Belgique. Ce n'est que l'énième épisode des services de renseignement rwandais qui continuent à travailler au grand jour sur le territoire belge au nez et à la barbe des autorités du Royaume. Décryptage.
Un centre culturel pour camoufler les activités obscures de l'ambassade ?
Le serpent de mer d'un centre culturel rwandais en Belgique est de nouveau à la page. L'ambassade n'en est pas à son coup d'essai. Dans le milieu des années 2000, l'ambassade avait un centre culturel qui avait dû fermer à l'époque.
Le projet a été confié à Gustave Ntwaramuheto. L'homme, qui a le rang de diplomate et dont le titre officiel est Premier secrétaire de l'ambassade, est également connu comme l'un des principaux officiers du National Intelligence Security Services (NISS), le principal service de renseignement du Rwanda. Il coordonne depuis de nombreuses années les activités de renseignement rwandaises en Belgique. Il a souvent été rappelé à l'ordre par les autorités belges et est toujours sur la sellette en raison de ses activités dépassant le cadre de son rang diplomatique.
Il semble cependant que personne d'autre n'aurait pu avoir l'expérience et la confiance de Kigali pour mener à bien ce projet très stratégique. C'est à lui ainsi qu'à l'ex-Capitaine Eulade Bwitare (décédé en 2020) qu'avait été confié la coordination de l'« Intervention group », une sorte de milice de sécurité en charge d'activité obscures pour le compte de l'Etat rwandais en Belgique et en Europe.
Le subterfuge que l'ambassade voudrait utiliser est de se servir d'une des associations de droit belge de leur giron comme couverture. Le but de ce centre culturel serait de mener insidieusement des activités de lobbying et de renseignement ainsi que toute une série d'autres activités qui seraient camouflées.
Selon nos informations, le projet est déjà bien avancé. Même si le tour de table pour le financement n'est pas encore bouclé, la question qui se pose actuellement est celle du siège. Plusieurs pistes ont été étudiées mais pour l'instant, l'ambassade piétine toujours sur cette question très stratégique au vu des ambitions qu'elle pose pour ce projet.
La Belgique terrain de jeu des espions rwandais
Les activités de renseignement illégales menées par le Rwanda en Belgique sont un secret de polichinelle. Jambonews avait documenté en 2018 à travers une longue enquête la mise en place d'une cellule de renseignement et de sécurité au sein de l'ambassade dont le rôle est de coordonner les activités de renseignement rwandaises en Belgique.
Les services belges se sont plaints à plusieurs reprises des agissements des agents rwandais en Belgique. En juin 2018, Guy Rapaille, l'ancien chef du Comité R, l'organe qui supervise tous les services de renseignement, a révélé que les services belges « ont été informés de l'existence d'escadrons de la mort rwandais en Europe ». Pointant du doigt les services rwandais, Guy Rapaille avait déploré leurs activités illégales en Belgique : « le principe est simple : lorsque les services secrets étrangers déploient des opérations chez nous, ils sont censés en informer les services belges. Cela fonctionne bien avec la plupart des pays, mais il y a des services étrangers qui ne fonctionnent pas comme ça« . En juin 2019, Claude Van de Voorde, l'ancien chef du SGRS, plaçait le Rwanda aux côtés de la Chine et de la Russie « dans les grandes priorités du renseignement militaire belge ».
En octobre 2019, en réponse à des questions jointes des députés Ecolo Cécile Thibaut et Samuel Cogolati en Commission Justice de la Chambre, le ministre Koen Geens confirme que « les services de renseignement rwandais sont actifs sur notre territoire ». Selon le ministre, les services de renseignement rwandais « tentent principalement d'affaiblir ce qui est perçu comme une menace politique potentielle émanant de l'opposition rwandaise en Belgique ».
Récemment, grâce au travail du consortium de journalistes Forbidden Stories et Amnesty International, il a été révélé que le Rwanda espionnait près de 3500 personnes à l'aide du logiciel espion Pegasus appartenant à la société NSO. Ce logiciel, qui permet de s'introduire dans le téléphone de ses victimes, permet de voler toutes les données des téléphones piégés et même d'activer à l'insu du propriétaire la caméra et le microphone des téléphones infectés.
L'enquête a révélé que Carine Kanimba, la fille Paul Rusesabagina, vivant dans la banlieue de Bruxelles, était l'une des victimes de l'espionnage électronique mené par le Rwanda. Il a par exemple été averé que le virus avait été actif dans son téléphone le 14 juin 2021 pendant toute la durée de sa rencontre avec le ministre belge des Affaires étrangères, Sophie Wilmès, et jusqu'à 30 minutes après. Le cabinet du ministre a déclaré qu'« aucune information sensible n'avait été partagée lors de cette rencontre».
Placide Kayumba, résidant dans le sud du pays, vice-Président des FDU-Inkingi, le principal parti d'opposition au régime du FPR, qui est également un des membres fondateurs de Jambo asbl, avait également été reconnu en 2018 comme une des personnes cibleés par le Rwanda et qui ont été infectées par le logiciel Pegasus.
L'Etat rwandais déploie d'importants moyens à la limite de la légalité, oscillant entre lobbying et trafic d'influence pour assurer ses intérêts en Belgique. L'ambassade du Rwanda a mis en place un réseau d'associations et de personnalités dites « de la société civile » et dont l'indépendance est feinte. Associations et personnalités qu'elle finance, appuie et contrôle pour mener un travail de renseignement, de lobbying et de propagande au sein de la société belge. Lors de la dernière visite du ministre des Affaires étrangères, Vincent Biruta, en Belgique, il avait rencontré plusieurs d'entre elles telles que DRB-Rugali et Ibuka.
Menaces digitales, utilisation de logiciels espions, intimidation des proches restés au pays, et même assassinats. Le Rwanda ne recule devant rien. L'ONG Freedom House avait assuré dans un rapport publié en février 2021 que les moyens utilisés par Kigali pour museler la diaspora rwandaise et viser les ressortissants considérés comme terroristes à l'étranger « sont exceptionnellement importants pour un pays d'environ 13 millions d'habitants où presque un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté ».
Pourquoi le Rwanda s'intéresse à la communauté rwandaise de Belgique ?
La Belgique est le pays occidental qui compte la plus grande communauté rwandaise.
Une première vague remonte aux années 60 et 70, elle était composée de Rwandais qui ont fui suite à la chute de la monarchie et aux pogroms anti-tutsis qui ont suivi dans les années suivantes.
Une deuxième vague bien plus large date de la fin des années 90. Elle est composée de Rwandais qui ont fui l'arrivée au pouvoir du FPR et les massacres de masse commis par le nouveau pouvoir contre les Hutu.
Une troisième vague s'étale sur les années 2000 avec d'une part des réfugiés politiques et économiques qui fuient la dictature du FPR et la pauvreté au Rwanda et d'autre part, les migrants qui semblent être le fruit d'une stratégie du régime visant à grossir les rangs des partisans du FPR en Belgique pour équilibrer la donne, vu le nombre élevé de critiques.
Bruxelles est désormais la capitale mondiale des opposants au FPR. C'est en Belgique que l'on trouve la base des principaux partis politiques d'opposition ou les organisations de la société civile les plus critiques.
De plus, un problème qui irrite profondément Kigali est que chaque visite de Paul Kagame ou d'officiels rwandais en Belgique tend à se terminer en désastre médiatique pour le leadership du FPR.
D'un point de vue médiatique et politique, les mouvements critiques et d'opposition ont infligé plusieurs revers au pouvoir du FPR en Belgique ces dernières années.
Nous pouvons citer la visite de Paul Kagame à Bruxelles en 2018 à l'occasion des journées européennes du développement qui a eu pour conséquence le licenciement de la responsable de la communication de l'ambassade du Rwanda en raison de sa gestion chaotique de la communication autour de cette visite. L'espace médiatique avait été monopolisé par les voix critiques au régime du FPR.
Ou encore, en 2020, le maintien de Laure Uwase dans le groupe d'experts de la commission de la Chambre des représentants chargée de faire la lumière sur le passé colonial de la Belgique. Malgré l'intervention du gouvernement rwandais, du parlement rwandais, de l'ambassade et de nombreuses associations satellites, les parlementaires belges ont choisi de maintenir l'avocate belgo-rwandaise comme experte. Ceci a été vécu comme une gifle politique majeure par les autorités rwandaises.
Le dernier revers politique a été le vote par la Chambre des représentants belge d'une résolution visant à exiger la libération et le retour de Paul Rusesabagina. Malgré les pressions de l'ambassade et le lobbying du ministre des Affaires étrangères, Vincent Biruta, les législateurs belges ont préféré voter un texte fort en faveur de leur compatriote Paul Rusesabagina toujours emprisonné illégalement au Rwanda. Même l'actuelle Secrétaire générale de la Francophonie, Madame Louise Mushikiwabo, avait enfilé le bleu de chauffe en coulisses pour faire du lobbying auprès de certains parlementaires pour les convaincre de ne pas soutenir cette résolution.
Quid de la réaction des autorités belges ?
La politique belge à l'égard du Rwanda est depuis longtemps claire : il faut éviter de se fâcher avec le Rwanda car c'est le seul interlocuteur restant dans la région des Grands Lacs d'Afrique. Pendant très longtemps, la Belgique a eu un dialogue au point mort avec le Burundi de Nkurunziza et la République démocratique du Congo de Kabila. Le Rwanda de Kagame était alors le seul interlocuteur dans la principale région d'influence belge dans le monde. Le gouvernement belge ne pouvait pas se permettre d'avoir des problèmes avec tous les pays de la sous-région. Le Rwanda en a profité, se sachant à l'abri, et a multiplié les actes d'arrogance et d'ingérence diplomatique.
La situation a légèrement évolué. L'arrivée d'Evariste Ndayishimiye au Burundi et de Felix Tshisekedi a ouvert une nouvelle page et les relations avec les deux pays se sont largement améliorées.
Au niveau des autorités belges, on observe néanmoins des signes d'évolution positive. Suite à la révélation par le journal Le Soir en décembre 2019 de l'existence d'un accord de coopération de haut niveau entre le SGRS (service de renseignement militaire belge) et le NISS (service de renseignement extérieur rwandais), des parlementaires belges ont saisis le Comité permanent de Renseignement belge (Comité R), gendarme des services de renseignement belge, pour explication. Après un audit de plusieurs mois de tous les accords des renseignements militaires avec les pays étrangers réalisé par le Comité R. Il a été avéré que celui signé en 2016 avec le Rwanda n'avait pas été porté à la connaissance ni du Comité et des autorités politiques. Plusieurs politique ont depuis lors demandé le retrait de cet accord.
Depuis que Madame Sophie Wilmès a pris les rênes de la diplomatie belge, elle a montré à certaines reprises qu'elle était capable de hausser le ton avec le Rwanda. Notamment sur le cas de Paul Rusesabagina où elle s'est montrée à plusieurs reprises très sévère avec Kigali en réponse à certaines questions des parlementaires ou dans son communiqué suivant la rencontre avec le Ministre Biruta.
Les autorités belges continueront t'ils à se détacher du joug des services renseignement rwandais beaucoup trop actifs sur leur territoire ? Vont-ils prendre les mesures adéquates pour protéger les citoyens belgo-rwandais face à la menace que cela représente ? Vont-ils se décider à répondre et à agir diplomatiquement pour calmer les ardeurs du Rwanda ? L'avenir nous le dira…
Emmanuel Hakuzwimana
www.jambonews.net
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