En Afrique, la France ne peut plus que sauver les meubles… et sa dignité
Tout faire pour éviter Kaboul. Éviter de partir précipitamment, comme les Américains, une main devant, une main derrière. Car c'est bien ce qui menace la France au Mali. Qu'il faille mettre fin à l'opération « Barkhane » est depuis longtemps déjà une évidence. L'enjeu est de le faire autrement que dans la débâcle. Alors que les putschs agitent l'Afrique de l'Ouest, la France semble plus que jamais fragilisée dans des pays dont la jeunesse est abreuvée, sur les réseaux sociaux, de discours rejetant ce qui est présenté comme du « néocolonialisme ». Pis, au Burkina voisin, des manifestants accusaient, il y a peu, l'armée française d'armer les djihadistes plutôt que de les combattre. Comment en est-on arrivés là ?
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Au départ, l'intervention décidée par François Hollande n'a rien à voir avec les délires d'un camp néoconservateur persuadé de la « mission civilisatrice » de l'Occident. Le Mali n'est ni l'Irak ni la Libye. L'opération « Serval », lancée en janvier 2013, venait aider un pays souverain à protéger sa population et l'intégrité de son territoire. Elle démontra d'ailleurs que la France, malgré un indéniable déclin et des manques criants en termes de matériel, possède encore une force armée capable de se projeter rapidement et efficacement sur un territoire.
« Ce n'est pas parce que le Mali est, à beaucoup de points de vue, un État corrompu où divers gangs, dont l'armée, se partagent une multitude de trafics que les leçons de morale de l'ancienne puissance coloniale ont la moindre légitimité ni la moindre efficacité. »
C'est bien la chute de Bamako qui fut alors évitée, avec ce lot d'horreurs qu'on voyait déjà à Tombouctou. Certes, la France assumait les conséquences de la désastreuse opération en Libye, dont on n'a sans doute pas fini de mesurer les dégâts, et parmi eux la dissémination de l'arsenal de Kadhafi dans tout le Sahel, mais elle fut aussi la seule puissance occidentale, justement, à assumer ses responsabilités sans pour autant porter atteinte à l'intégrité des pays de la région.
D'autres puissances en embuscade
Le problème vient après. Le remplacement de « Serval » par « Barkhane », opération de contrôle, de protection et d'intervention étendue à tout le Sahel, changeait la nature de la présence française et lui imposait un contrat intenable. Il eût été nécessaire, bien sûr, d'assurer la montée en puissance des armées du G5 Sahel – Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad – pour garantir la transition et ne pas laisser l'armée française s'engluer dans une position qui en fait la cible des rancœurs, des soupçons et des accusations de populations civiles prises en étau entre les djihadistes et des pouvoirs toujours incapables de mettre en place le minimum de réformes, notamment agraires, pour assurer un avenir décent à la jeunesse.
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Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas de dédouaner la France. Elle apparaît encore trop liée à ces dirigeants qui refusent toujours d'entendre monter la colère. Et l'adoubement par Emmanuel Macron du fils d'Idriss Déby au Tchad, en avril 2021, en fut encore une preuve. Mais l'enjeu n'est même plus là. Ce qui se joue en Afrique est bien l'éviction de la France et l'incursion massive de la Russie, de la Chine, de la Turquie et des pays du Golfe, bref, de puissances qui pourraient rapidement faire passer les réseaux de la Françafrique pour d'aimables réunions philanthropiques.
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Encore faut-il saisir la différence majeure : les puissances qui ont fait de l'Afrique leur nouveau terrain de jeu ne sont pas tout à fait sur le même plan que la France, et c'est la raison pour laquelle, malgré le groupe Wagner, malgré les prédations, c'est bien la France qui est l'objet de tous les ressentiments et de tous les reproches. Ces pays sont des partenaires commerciaux plus ou moins agressifs. La France était une offre globale : culturelle, linguistique, administrative… C'est bien cela qui est aujourd'hui rejeté, associé à des relents coloniaux devenus vestiges d'un passé peu glorieux. Et la seule force qui peut et qui va prendre la place est l'islam. Les élites africaines l'ont compris, qui ne mettent plus leurs enfants dans les lycées français mais dans des écoles coraniques. La mutation est à l'œuvre depuis déjà longtemps au Sahel, et elle s'étend aux pays limitrophes, partagés entre un Nord musulman et un Sud chrétien.
Que faire ?
Que peut faire la France ? Emmanuel Macron tente de zigzaguer dans ce champ de mines. Sur le terrain, certains regrettent cette façon d'entériner un scénario de provocation et contre-provocation. Cette façon de hausser le ton sur le thème « mais tout de même, nous sommes la France, nous avons envoyé notre armée pour vous aider, alors, veuillez plier s'il vous plaît »… Non pas que le fond du propos soit faux. Mais ce n'est pas parce que le Mali est, à beaucoup de points de vue, un État corrompu où divers gangs, dont l'armée, se partagent une multitude de trafics que les leçons de morale de l'ancienne puissance coloniale ont la moindre légitimité ni la moindre efficacité.
Dans ce contexte, Vincent Bolloré annonce abandonner ses activités portuaires en Afrique. Le monde change, et l'Afrique plus encore. La question qui se pose désormais est de savoir si la France va réussir à éviter l'humiliation au Mali et à ne pas perdre, pas à pas, toutes ses positions sur le continent. L'art du repli en bon ordre plutôt que la charge au sabre de bois. Moins spectaculaire mais plus subtil à long terme.