Jean-Michel Marlaud, ancien ambassadeur de France au Rwanda : « Je n'ai pas vu arriver le génocide »
En poste à Kigali de mai 1993 à avril 1994, le diplomate publie « Dire l'indicible » après trois décennies de silence.
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En tant qu'ambassadeur français au Rwanda de mai 1993 à avril 1994, Jean-Michel Marlaud a connu une période cruciale qui va de la signature des accords d'Arusha, destinés à mettre un terme à la guerre civile qui opposait l'armée rwandaise au Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politico-militaire composé de Tutsi venus d'Ouganda, au début du génocide des Tutsi, qui fera un million de morts au printemps 1994. Avant de raconter ses souvenirs dans l'ouvrage Dire l'indicible, paru fin septembre, le diplomate ne s'était jamais exprimé publiquement sur ce sujet.
Vingt-huit ans après avoir quitté Kigali, vous publiez vos mémoires. Pourquoi le faire maintenant ?
Deux éléments m'ont conduit à m'exprimer après quasiment trois décennies de silence. Cette prise de parole fait d'abord suite à la décision du président de la République de créer une commission chargée de reprendre l'ensemble des archives de l'époque pour essayer de déterminer la part de responsabilité de la France au Rwanda. Même si je ne suis pas totalement d'accord avec les conclusions de cette commission d'historiens [qui reconnaît « un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » de Paris dans le génocide, mais pas de complicité], il m'a semblé que cela marquait une nouvelle étape et qu'elle permettait de regarder ce qui s'est déroulé avec plus de sérénité.
Le deuxième facteur est que toutes les archives sont devenues accessibles, ce qui m'a permis de reprendre l'ensemble des éléments et notamment les télégrammes diplomatiques envoyés ou reçus par l'ambassade. Cela n'a pas modifié profondément mon approche, car j'avais gardé des souvenirs assez précis de cette période trop tragique pour qu'on puisse l'oublier, mais cela m'a permis de préciser mes souvenirs.
Le rapport Duclert mentionne l'existence d'une ligne directe entre l'état-major particulier de François Mitterrand à Paris et les militaires français à Kigali. Cette chaîne de commandement parallèle vous écartait de facto du processus décisionnel. Qu'avez-vous ressenti en découvrant cela ?
J'ai été surpris. Je n'étais effectivement pas au courant de la présence de cette ligne. Son existence est anormale, car tout échange doit passer par l'ambassadeur. Il existe toujours des liens directs entre les ministères à Paris et leurs représentants sur le terrain. A l'époque, Internet n'existait pas. Aujourd'hui, des dizaines de mails sont échangés chaque jour entre l'attaché commercial, l'attaché de défense ou l'attaché de sécurité intérieure et les autorités basées à Paris, sans que l'ambassadeur ne soit au courant. L'important est que si un sujet doit être porté à sa connaissance, il le soit.
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